Les écouteurs et les casques, barrière au dialogue ?


« Depuis environ dix-huit mois, on voit des hommes, et des dames parfois, ayant sur les oreilles un casque pour écouter de la musique malgré les bruits de la circulation », raconte le présentateur Léon Zitrone au « 20 heures » d’Antenne 2, le 18 avril 1981. « Une mode, oui, mais qui n’est peut-être pas sans conséquence, prévient le reportage. Il ne s’agit pas d’éviter aux autres le bruit que l’on peut faire, mais de s’éviter à soi le bruit des autres. Pour les psychiatres, c’est une rupture plus grave que celle des générations. » C’est l’époque où l’on s’inquiète de ces pratiques antisociales. « Si les gens étaient heureux et en bonne santé, ils n’auraient pas besoin de prothèses japonaises », écrit le prêtre Michel Guyard dans une tribune publiée par Le Monde, le 6 décembre 1980, en référence à la marque Sony, qui vient d’inventer le Walkman.

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Quarante ans plus tard, plus personne ne porte de Walkman, mais 4,9 millions de paires d’écouteurs sans fil se sont vendues en 2022, d’après les chiffres de l’institut GFK (dont plus de la moitié au dernier trimestre). Et s’il y a bien eu rupture générationnelle comme le craignait Antenne 2, avec casques et écouteurs au XXIe siècle, ce sont désormais les plus jeunes qui semblent se plaindre des anciens, qui n’en maîtrisent pas l’étiquette. « Est-ce que tu peux garder tes AirPods dans tes oreilles quand j’te parle, s’te plaît, bâtard ? », chante le rappeur Orelsan dans Du propre, titre sorti en 2021.

Jusqu’au début des années 2000, la question de savoir si on pouvait parler à quelqu’un qui avait les oreilles occupées ne se posait pas : personne ne parlait à ceux qui avaient des écouteurs filaires dans les oreilles. Les fils blancs de ceux de l’iPod, lancé par Apple en 2001, étaient d’ailleurs ce qu’il y avait de plus visible sur les publicités. A partir de 2017, les AirPods de la marque à la pomme (plus de la moitié des ventes) et leurs rivaux ont changé tout ça. « Je suis sûre que j’ai des gamines avec des écouteurs en cours sous leurs cheveux longs », avoue une professeure en lycée, à Saint-Etienne.

Règles non écrites à maîtriser

Bientôt, l’homme sans écouteurs n’aura plus à se demander s’il peut ou non engager la conversation, car la gestion unilatérale et discrétionnaire des échanges pourrait devenir la norme. « La tendance significative en matière d’écouteurs, ce sont les technologies qui offrent le choix de s’isoler ou pas, explique Joseph Batellier, chef de produit audio chez Sony. Parmi celles-ci, la fonctionnalité “Speak to Chat” qui, après avoir enregistré la voix de l’utilisateur, met la musique et la réduction de bruit en pause quand celui-ci engage la conversation avec quelqu’un. » En résumé, celui qui porte les écouteurs gardera encore la main sur l’ouverture à la discussion, décidant de s’immerger complètement ou pas, et d’en sortir quand il veut.

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